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Le syndrome de Creutzfeldt-Jakob


Le syndrome de Creutzfeldt-Jakob

Commençons par l’exégèse d’un lieu commun. « L’art, c’est subjectif » ; « Chacun ses goûts » ; « Les goûts et les couleurs, vous savez… », éructent un peu trop souvent les césaropapistes de la pensée. Dans ces affirmations, qui n’en sont qu’une seule en réalité, il est implicitement entendu que : « Moi je trouve que c’est beau alors critique pas », ou encore : « Sur quoi tu te bases pour dire que c’est de la merde ? » et autres balbutiements monomaniaques. Celles et ceux qui emploient cette rhétorique d’auto-défense ont bien raison de se défendre : les goûts sont perçus comme intimes par l’inconscient collectif ; blesser le goût, c’est blesser l’homme. Aussi, et de la même manière que le meilleur moyen d’éviter le conflit c’est de savoir se battre, le meilleur moyen d’échapper à ce phénomène, c’est d’avoir du goût.

Mais trêve de tautologies, et revenons à nos moutons lobotomisés et à leur sujet de prédilection qu’ils connaissent généralement très mal : l’art, et en particulier l’art contemporain.

Il est certes admis que les individus peuvent éprouver des sensations différentes ou diverger dans leurs inclinations, mais ces évidences excusent-elles le néant significatif et asémique – oui, j’ose le néologisme – qu’incarne l’art officiel d’aujourd’hui ? L’auto-attribution d’un mode opératoire quelconque est l’apanage de l’artiste contemporain ; prenez par exemple le minimalisme névrosé d’un Niele Toroni, qui peignait des points avec toujours le même pinceau, en les espaçant systématiquement de trente centimètres ; ou bien pensez à la brute épaisse Yves Klein, qui a cherché toute sa vie, dans une mission de pureté indigente, le bleu parfait afin d’en badigeonner sa toile et d’effectuer le tant vénéré monochrome. La peinture qui devient du coloriage, je ne sais pas par chez vous, mais moi j’appelle ça de la décadence. Et qu’on ne compare pas la décadence stylisée et policée d’un Baudelaire à celle d’un obsédé du bleu de Prusse s’il vous plaît, ce serait indécent.

On reconnaît l’artiste contemporain par son originalité sans faille dès qu’il s’agit de produire de la merde. Il est rigoureux, oui ! mais sa rigueur se tourne vers le rien. Au lieu d’embrasser les étoiles, elle chatouille le caniveau, et ce avec obstination et conviction. L’artiste contemporain est un dogmatique, il impose ses codes à la société, et si celle-ci, par bon sens élémentaire, ne les accepte pas, elle passe pour « arriérée » ou « réfractaire au progrès ». Il faut le comprendre comme suit : puisque l’artiste prend la décision d’agir comme cela et pas autrement, c’est quelque chose de sérieux, car, en tant qu’artiste, il l’a décidé ainsi ; c’est la religion de l’idée, la religion du concept, qui, pour leur plus grand plaisir, ne souffre pas la contradiction. Parce qu’attention, il a foi en lui et en son génie si original – ah ! le mot magique est lâché ! le fameux terme excusant tout, amalgamé sans honte aucune à celui de créativité ; dictateur conceptuel, nous pourrions le qualifier un peu hâtivement de fasciste. Seulement, n’oublions pas que le fascisme, amputé de son esthétique et de son bon sens essentiel, ça s’appelle du bolchévisme.

Voici l’artiste à l’œuvre : conception, production, perception. Dit comme ça, on a l’impression que c’est très sérieux, n’est-ce pas ? Détrompez-vous, jeunes naïfs. Alanguissement, ameublement, encaissement ; cette suite d’action n’en est qu’une seule : de la masturbation. Par la grâce de la licence pamphlétaire que je revendique au nom de son héritage nous venant de la tradition française, je déclare que l’artiste contemporain autoproclamé n’est rien de moins qu’une psychose onaniste à deux pattes aspirant à la richesse, voire même, pour les plus têtus, à la reconnaissance de son époque.

Des étrons, tout ça ; rien que de très gros étrons malodorants. Et nous voilà spectateurs de manifestations purulentes des esprits visionnaires à la mode, victimes inconsolables de perturbations cérébrales de niveau douze sur l’échelle de Marcel Duchamp. Nous pourrions pleurer et passer notre chemin, oui… Serait-ce toutefois souhaitable ? Bien malheureusement, cette quête théologique de laideur plus ou moins assumée n’est pas le lot de l’art pictural : on la retrouve en musique, en littérature, au cinéma ; en somme, dans quasiment tous les domaines artistiques que l’homme eut la bonté de rendre grands, par le passé. Engagement réactionnaire, dites-vous ? Précisément. Le génie respectif de Michel Audiard, de Goethe et de Tchaïkovsky l’emportera toujours face à la sémitique incongruité inesthétiquement monomorphe d’un Yvan Attal, d’un Marc Levy ou d’un Patrick Bruel. Malheureusement pour l’humanité, ce sont ces trois derniers qui sont mis au pinacle aujourd’hui.

Un pandémonium artistique à l’image de l’actualité contemporaine. L’émergence, et surtout la consécration de putrides flatulences spirituelles n’est possible que dans une société en manque de repères, démantelée par les idéologues déconstructivistes du siècle passé et par la normalisation du mauvais goût – ce qui est en fait l’anormalisation –, laissée en état de putréfaction avancée et allègrement exploitée par de grands meneurs qui n’ont de grand que les comptes en banque. On consomme, on jette, et ainsi de suite. Critères, points de vue, perspective, balayez tous ces termes dépassés ; ce n’est plus un art noble qui produit du beau, aujourd’hui, c’est l’art de l’idée, et chaque idée est recevable. Dire que « celui-ci est meilleur et/ou vaut mieux que celui-là car il est plus talentueux » est impensable de nos jours, car tout est art ; ce qui fait qu’au final, rien n’est art. Le métissage artistique est monnaie courante de nos jours : mais Mozart x zéro, ça fait toujours zéro. L’art est devenu une marchandise à part entière ; « cette toile est révolutionnaire ! », « oh ! mais celle-ci aussi ! », et ceci à n’en plus finir. On fabrique des génies à la chaîne qui se succèdent les uns les autres ; mais lorsque la gloire ne dure que cinq minutes, c’est que la gloire ne veut plus rien dire.

Le règne de l’éphémère est la conséquence directe d’un monde libéralisé, rendu abject par la tolérance extrême, voire la tolérance extrémiste ; on a souhaité l’égalité parfaite entre les êtres et les choses en oubliant que si les faibles sont faibles, c’est parce que les forts sont forts. S’il existe des Übermensch, il existe logiquement des Untermensch. Implacable paradigme, mais non astreint à la fatalité : le mauvais peut devenir bon, s’il en a la volonté – la forte volonté. Il ne s’agit que de travail. Peut-être que ce concept, tant honni par les adorateurs du marxisme culturel, serait la réponse à cette problématique ?

Le goût, comme toute qualité essentielle, ça s’éduque, ça s’aiguise, ça se travaille, ça macère dans la cervelle tout du long, et quand nous saurons, en l’espace d’un cillement, différencier la suspension célinienne de celle de Dostoïevski, là nous aurons commencé à être sur la bonne voie. Mais avant cela, avant tout cela, il faudra, je le crains, que nous sortions tous nos têtes des culs égalitaires dans lesquels elles sont profondément et depuis trop longtemps enfoncées.


 

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